"Dans les derniers mois de l'année 1754 et pendant 1755 et 1756, on parla dans le Lyonnais d'une bête féroce qui s'était fait voir dans plusieurs cantons de nos provinces. Du Lyonnais, elle passa dans le Dauphiné, où l'on fit une chasse générale en plusieurs contrées. De là, elle rentra dans le Lyonnais et l'on assure l'avoir vue près de Thelzé, de Moire, de Fronnac, de Saint-Bel et de l'Arbresle, tous pays montagneux en grande partie couverts de bois et coupés par des vallons caverneux entre lesquels coule la rivière d'Azergues.
L'animal, après s'être avancé dans le voisinage de Roanne, revient vers Saint-Bel et Saint-Germain-sur- l'Arbresle et se jeta de là dans les bois de Savigni. Ici, on en perdit la piste pour quelque temps, mais on n'eut que trop le malheur de la retrouver. L'animal reparut successivement dans presque tous les endroits que j'ai déjà nommés et partout de nouveaux ravages marquèrent ses traces. On compta 17 jeunes hommes, ou jeunes enfants, mordus ou déchirés et même dévorés.
Ceux qui l'aperçurent, ou qui crurent le voir, le représentaient d'une grosseur qui approchait celle du loup, avec des jambes moins hautes, un poil plus rude et la peau mouchetée de diverses couleurs.
Sur ce récit, l'opinion s'établit que c'était une véritable hyène. Mais qui ne sait que la frayeur grossit les objets, ou les défigure entièrement. Le signalement qu'on donna de cet animal carnassier avait, sans doute, été tracé par des Imaginations échauffées. Dans la rapidité de la fuite,- a t'il pu être mesuré de l'oeil avec justesse ? Dans la course, il dut paraître plus bas quel ne l'était en effet. L'agitation de tout son corps faisait dresser les poils et l'on sait enfin que l'éblouissement diversifie les nuances presqu'à l'infini. Otez ces circonstances, au lieu d'une hyène, on n'aura vu qu'un loup.
Les rigueurs excessives de l'hiver de 1754 forcèrent les animaux de cette dernière espèce à chercher, dans les villages ce que la campagne ne leur fournissait plus. D'ailleurs, l'hyène est un animal entièrement étranger à nos climats. Par où aurait il pénétré ? Supposerait-on avec a moindre vraisemblance qu'il eut traversé les espaces immenses qui nous séparent de sa terre natale sans avoir marqué nulle part les traces de son passage ?
Concluons qu'on met trop souvent le merveilleux où il n'y a rien que d'ordinaire."
Ainsi s'exprimait, Alléon-Dulac dans ses Mémoires pour servir à l'histoire naturelle du Lyonnois, Forez et Beaujolois éditées à Lyon en 1765.
Il situait "près de l'Arbresle" une partie des meurtres Imputés à la bête féroce de 1754-1756. Voici les actes de sépulture de trois de ces victimes, documents relatant les circonstances de leur mort.
20 avril 1756. Saint-Julien-Debibost (8 km au sud-ouest de l'Arbresle).
" Marguerite Penet, de onze ans, née de Jean-Fronçois Penet et de Jeanne Sublion, a été enterrée le 29/4/1756 - faisant paître ses bêtes chez Subtion de l'hameau de Bernay,. deux animaux féroces, l'un comme un gros bidet, tiran sur le rouge, ressamblant a un loup à l'exception qu'il avait une cüe courte, et l'autre gros comme un gros mâtin, mais blanc sous le ventre et une grande cüe longue, le saisirent au gozier et lui endommagèrent tellement le coup, que cette enfant en est morte. Ces animaux ont dévorés quantités de bergers dans le voisinage et cela depuis deux ans. Barbier, curé. "
15 juin 1756t Saint-Romain-de- Dopey (à quelques kilomètres au nord-ouest de l'Arbresle).
" Étienne, fils de Claude Manus, habitant de Saint-Romain-de-Popey, âgé de six ans, ayant été dévoré par le loup, le quatorze juin 1756, a été enterré dans le cimetière de l'église paroissiale dudit Saint-Romain le quinze du même mois et an que dessus par moi vicaire soussigné, en présence de Claude Manus son père et de Gabriel Durand, sonneur de cloches de la susdite paroisse, qui ont déclaré ne savoir signer de ce requis et sommes Forest, vicaire. "
24 novembre 1756. Montrottier (au sud-ouest de L'Arbresle à 10 km environ au sud de Saint-Romain et à 6 km de Saint-Julien) :
" Anne, fille légitime de Jean Charassin, la dite enfant âgée de neuf ans, ayant été dévorée et mangée à moitié par les bêtes féroces ou loups ou hyènes le vingt novembre, a été enterrée le 24 dudit mois 1756 dans le cimetière de l'église de Montrottier, en présence de Philippe Bretonnière et Pierre Blanc, marguillier, qui ont déclaré ne savoir signer, de ce requis. Bataillord, curé Cie Montrottier "